« L’éléphant dans la classe » … et les singeries médiatiques ; peut-on vraiment justifier un recul de plusieurs décennies des droits des élèves présentant des besoins particuliers ?
Le texte d’opinion prend de plus en plus de place dans l’écosystème médiatique et il est rendu chose courante de voir différents rédacteurs se motiver mutuellement afin de s’exprimer sur différents enjeux sociaux. Ces textes peuvent parfois être à la limite de l’éthique et porter des propos pouvant être nocifs pour certains groupes d’individus. Or, il ne s’agit que d’opinions personnelles et comme le dit le dicton « tout le monde a droit à son opinion ». Qu’à cela ne tienne, lorsqu’un média décide de prendre position publiquement afin de soutenir le recul de plusieurs décennies des droits des élèves présentant des besoins particuliers nous avons de quoi nous alarmer.
Mardi dernier, le 12 décembre 2023, les directrices générales de la Société québécoise de la déficience intellectuelle (SQDI) et de la Fédération québécoise de l’autisme (FQA) ont émis une lettre ouverte intitulée L’école doit rester inclusive pour une société ouverte à la différence. Dans ce communiqué repris par Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, les organismes nationaux de défense des droits ont exposé le véritable enjeu sous-jacent à la question de la lourdeur des tâches. Il ne s’agit pas de remettre en question le droit assurer par la Loi sur l’instruction publique (I-13,3, LIP, art. 238) d’inclure les élèves présentant des besoins particuliers dans les classes dites ordinaires, mais plutôt d’assurer le droit du personnel scolaire d’obtenir les services nécessaires leur permettant d’assurer une saine inclusion pour ces enfants.
Or, seulement une journée après la parution de cette lettre ouverte, La Presse publiait un article intitulé L’éléphant dans la classe dans lequel la rédactrice soutenait que le véritable enjeu qui mine le système d’éducation est l’intégration des élèves en difficulté dans les classes dites ordinaires et exprimait l’importance de miser sur les classes spécialisées et l’établissement d’un système à vitesses multiples. Tous les enfants n’apprennent pas de la même manière, c’est un fait. Mais doit-on pour autant remettre en question la dimension hétéroclite de la composition d’une classe? En gros la solution miracle selon cet article serait de se montrer tolérant envers l’intolérance. L’ironie est que le média La Presse est un quotidien tout à fait respectable et dont l’intégrité de ces rédacteurs n’est plus à prouver. Cette prise de position aussi cavalière est d’autant plus surprenante que La Presse soutient généralement les mouvements de défense des droits de la personne.
L’image ségrégationniste de l’enfant HDAA dont la présence est dérangeante est selon le Regroupement d’organismes en DI / TSA de la Mauricie extrêmement préoccupante dans la mesure où l’emphase n’est clairement pas portée sur les bons enjeux. Bien entendu, la question de la lourdeur des tâches portées dans le réseau scolaire a de quoi préoccuper et les revendications du personnel scolaire d’avoir des conditions décentes est plus que justifié. Toutefois, il est déraisonnable de mettre le blâme sur les enfants plutôt que sur le désintérêt du gouvernement d’appuyer convenablement le réseau scolaire en le dotant d’une structure de financement adéquate visant à assurer une saine inclusion pour tous les élèves. À ce propos, rappelons que c’est le premier ministre actuel, François Legault, qui a signé en 1999 la Politique d’adaptation scolaire, et ce, alors qu’il était ministre de l’Éducation et de la Jeunesse. Ce dernier mentionnait d’ailleurs : « Ce plan d’action a pour objet de faciliter la tâche aux enseignants, aux enseignantes et à tout le personnel scolaire qui se dévouent auprès de ces élèves et qui ne ménagent pas leurs efforts pour les mettre sur la voie de la réussite, à l’école comme dans la vie. » ; or il serait pertinent que plus de 20 ans plus tard son gouvernement mette en place les moyens d’assurer la réussite de ce plan d’action, notamment en révisant les modalités de financement. La révision du système de financement selon les codes de difficulté a d’ailleurs été suggérée par le Rapport spécial L’élève avant tout émis par le Protecteur du citoyen.
Finalement, rappelons que la ségrégation a des conséquences et c’est pourquoi les individus adultes comme enfants ont des droits protégés par différentes législations et c’est ce qui différencie la politique québécoise de celle présente dans les régimes autoritaires. Si une dérape comme l’exclusion des élèves HDAA des classes ordinaires est permise où cela s’arrêtera-t-il ?